Pour un dialogue social au service des bons usages de l’IA et d’une nouvelle étape de progrès social dans les entreprises et les administrations

Une urgence à agir

La période actuelle est marquée par une montée en puissance sans précédent de l’IA dans le débat public, en lien avec la prise de conscience que toutes les entreprises, toutes les organisations, toutes les activités, de la sphère personnelle comme professionnelle, y compris des activités que l’on pensait jusque-là préservées, sont potentiellement impactées par les systèmes d’intelligence artificielle. L’intelligence artificielle est aussi porteuse de nombreuses craintes au travail, au premier rang desquelles la remise en cause ou la disparition du travail humain et de nombre d’emplois. Les moyens existent pour que se développent dans le monde du travail des systèmes d’intelligence artificiels vertueux dans leurs finalités comme leurs modalités, humainement respectueux des droits de la protection des données, des droits fondamentaux et garantissant que l’humain prend toujours la décision

Des lignes de conduite incontournables

Ces moyens passent par un juste équilibre entre, d’un côté, les actions visant à encourager ces technologies et, de l’autre, celles à même de créer les conditions de leur fiabilité et de leur finalité via la participation de toutes les différentes parties prenantes de la mise en place de ces systèmes. Les porteurs du projet DIALIA sont convaincus du rôle majeur que peut jouer le dialogue au niveau interprofessionnel comme dans les entreprises et les administrations, entre les parties prenantes de l’IA, avec les usagers, pour asseoir et garantir la confiance. Il est urgent d’équiper les acteurs pour les aider à se remettre en capacité de dialoguer et créer les conditions pour réussir ensemble ce nouveau virage de la transformation numérique des entreprises et des organisations. Les voies pour y parvenir existent. Il est urgent de partir d’un état des lieux réel des activités déjà concernées pour en évaluer les transformations.

Une IA dont la création de valeur bénéficie à l’ensemble des acteurs économiques et sociaux et au progrès social et sociétal

La création de valeur, tant économique que sociétale, permise par l’IA est potentiellement de grande ampleur. Pour être pleinement effective, cette création de valeur doit prendre en compte l’impact des changements induits par l’IA sur le travail.  Car c’est d’abord au travers de la transformation des activités, des qualifications, des organisations, des manières de travailler que cette valeur se crée dans les organisations. La part conséquente des gains de productivité permise par l’IA doit garantir un partage équitable de ces avantages entre travail et capital.

Pour l’heure, en ce qui concerne le partage de cette valeur créée, ce sont surtout les fournisseurs d’IA et ceux qui collectent et valorisent les données qui en tirent le bénéfice économique. Le risque est également fort de voir cette valeur captée par quelques acteurs dominants. Les moyens des utilisateurs, notamment les TPE/PME, que ce soit au niveau d’un secteur ou d’une filière, pour exploiter et tirer tous les bénéfices de l’IA, sont très inégaux. Il en va de même dans l’administration.

Il est temps de construire le partage de la valeur créée dans les entreprises et organisations qui recourent à l’IA.  Il est indispensable de réduire et limiter les asymétries entre les acteurs et les parties prenantes de la transformation permise par l’IA.

L’intelligence artificielle, comme toute autre technologie, ne peut avoir comme seule finalité la rationalisation économique. L’IA ne doit pas être cantonnée à des stratégies visant uniquement à la productivité ou la réduction des coûts. Il faut s’assurer de règles loyales d’affaire.  Il faut pouvoir garantir qu’elle pourra contribuer à produire des solutions technologiques au service de l’intérêt général. Il faut permettre l’émergence de produits alternatifs, respectueux des droits de la protection des données, des droits fondamentaux et d’une déontologie garantissant que l’humain prend toujours la décision in fine. 

Une IA qui est au service des organisations du travail

Une mise en œuvre vertueuse de l’intelligence artificielle ne peut pas se faire sans les travailleurs.

Les SIA (Systèmes d’Intelligence Artificielle) sont développés à partir du travail prescrit, des représentations du travail qui ne prennent pas en compte les nuances, les subtilités, la complexité qui font l’intérêt du travail réel et lui donnent du sens. Réduire le travail réel en données exploitables par des SIA les rendent en quelque sorte aveugles. Le risque est fort que ces SIA deviennent alors des contraintes supplémentaires pour les travailleurs pouvant contribuer à la perte de sens, voire conduire à l’obsolescence humaine.

Le solutionnisme et le déterminisme technologique conduisent à penser l’IA du point de vue de l’adaptation des organisations à la technologie. Les impacts organisationnels de l’IA, sur les conditions de travail, sont trop souvent sous-estimés, quand ils ne sont pas ignorés. L’organisation du travail est pourtant un facteur stratégique de performance économique et sociale. L’IA donne des possibilités de recentrer l’activité humaine sur des taches valorisantes en réduisant les tâches répétitives et doit constituer un levier important de valorisation de la contribution humaine au travail.

 C’est de l’organisation qu’il faut partir pour s’interroger sur les conditions que l’outil doit remplir plutôt que l’inverse : quid des effets directs et indirects, à court et long termes ?

Des potentialités sous-estimées de dialogue à mobiliser dans les entreprises et les administrations

Force est de constater que la place accordée aujourd’hui au dialogue social est faible.

C’est le cas dans la régulation législative européenne en cours de construction :  le dialogue social est quasi absent du règlement sur l’IA, qui renvoie à un prochain acte législatif sur le management algorithmique. Aucune incitation à la déclinaison par accord collectif de la protection des données personnelles dans le cadre du travail n’existe, alors même que l’article 88 du RGPD le prévoit explicitement, au même niveau qu’une intervention législative.

Au niveau français, le dialogue social est quasi inexistant avec les pouvoirs publics comme en entreprise et dans l’administration. 

Des outils juridiques de dialogue social existent pourtant, qui pourraient faire de l’IA un objet de dialogue social, tout particulièrement dans le cadre des moments de l’information consultation des représentants du personnel. Malheureusement ils ne sont pas mobilisés, par manque d’un socle commun de compréhension et de motivation des directions et des représentants du personnel, mais aussi, trop souvent, par manque de maîtrise des technologies qui vont être mises en place par ceux en responsabilité de les introduire, que ce soit dans le privé ou le public.  Il faudra veiller que les organismes de contrôle aient les moyens adéquates à la hauteur de ces enjeux.

La stratégie IA est rarement explicitement abordée dans les orientations stratégiques. Ses impacts sont peu évoqués dans la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences.  Le seul moment où peut, potentiellement se dérouler une discussion précise sur le sujet de l’IA est celui de l’introduction des SIA au travers de l’information consultation des représentants du personnel. Les représentants du personnel sont trop rarement associés aux réflexions structurelles que peut engendrer le recours à de tels outils.

Pour asseoir la fiabilité, assurer la transparence et l’acceptabilité des SIA, accompagner l’arrivée de l’IA dans les entreprises et administrations, le dialogue social a un rôle crucial à jouer. Le dialogue social est primordial pour que se déploient que des usages profitables de l’IA, créateurs de valeur, intégrés dans les contextes de travail, préservant le sens du travail, la santé des travailleurs, respectant les droits et libertés fondamentales. Comme le souligne l’OCDE, le dialogue social est un levier pour favoriser une transition vers l’IA bénéfique à l’ensemble des acteurs économiques et sociaux.

Initier un dialogue dans le contexte de recours à un SIA sera pertinent aux conditions suivantes :

  • agir sur la prise de conscience qu’il est nécessaire de comprendre et appréhender les impacts des SIA et des algorithmes sur les compétences, l’emploi, l’organisation, à tous les niveaux : salariés, dont les manageurs, direction, entrepreneurs, usagers, citoyens, etc. 
  • oser le dialogue et l’adapter aux spécificités de l’IA.  Il faut prendre en compte la temporalité propre des SIA, leur « cycle de vie », sortir d’une approche « statique » du dialogue social, lui donner la possibilité d’agir avant, pendant, et après l’introduction de l’IA dans l’entreprise. Il faut se donner la possibilité de « retour en arrière », en entreprise, dans une organisation, dans le secteur public. 

L’accord-cadre des partenaires sociaux européens signé en juin 2020 sur la numérisation ouvre la voie pour de telles perspectives. Il promeut un processus de co-construction itératif, dans une logique d’anticipation et d’apprentissage collectif. L’accord vise à stimuler un dialogue social effectif autour de la transformation numérique des organisations. Il définit pour ce faire, à la manière d’une boite à outils, une méthodologie de dialogue déclinable à différents niveaux.

Le défi est de parvenir à une véritable appropriation collective de ces enjeux, ce qui nécessitera des moyens spécifiques au dialogue social.C’est tout l’objet du projet DIALIA qui vise à élaborer un référentiel partagé de déclinaison de cet accord cadre qui pourraient notamment proposerune boîte à outil à destination des représentants du personnel.

Un dialogue entre parties prenantes économiques est à impulser

L’utilisation des données, la transparence des algorithmes et plus globalement de l’IA, impliquent une multiplicité de parties prenantes : fournisseurs, prestataires, clients, usagers, entreprises, plateformes, etc. Aujourd’hui on constate que le dialogue entre ces parties prenantes est réduit à une relation strictement commerciale ou de condition de délivrance du service malgré les conséquences financières, organisationnelles et d’accès aux droits que l’outil peut engendrer.

Un nouveau type de dialogue, organisé entre parties-prenantes, peut contribuer à rééquilibrer les forces, que ce soit au sein de l’entreprise, l’administration, entre l’entreprise ou une administration et un éditeur, au sein d’une filière économique, entre par exemple les petites et les grandes entreprises, donneurs d’ordres et sous-traitants.

Il est important que la dimension travail soit systématiquement prise en compte dans les réflexions stratégiques sur l’IA et que des représentants des travailleurs soient présents dans ce dialogue des parties prenantes.

Les porteurs du projet DIALIA sont convaincus qu’un dialogue entre l’ensemble des parties concernées permet de mieux prendre conscience des enjeux de l’IA et d’y apporter des réponses dont le bénéfice est partagé par tous.

Le projet DIALIA (“Dialogue IA”) est coordonnée par l’IRES, en partenariat avec quatre des organisations syndicales membres de l’Institut : la CFDT, la CFE-CGC, FO Cadres, l’UGICT CGT, Le projet est cofinancé par l’ANACT. Il vise à contribuer à déployer un cadre méthodologique partagé pour faire du développement du dialogue social technologique au travail et de la déclinaison de l’accord cadre européen de 2020 sur la numérisation du travail  un levier opérationnel de la transformation numérique.